De l'art de la négociation à l'amiable.

“Un bon accord vaut mieux qu’un mauvais procès”. L’adage est connu. Mais comment repérer une situation permettant de négocier un bon accord ?

Éléments d’explication à travers un cas d’école retentissant : le procès Activision – Infinity Ward (2010-2012), parfois qualifié de procès du siècle pour l’industrie du gaming aux États-Unis.

L’affaire Activision – Infinity Ward

En quelques mots, cette affaire portait sur l’inexécution d’un accord conclu (de mauvaise foi) en mars 2008 entre Infinity Ward et sa maison-mère, Activision.

Selon cet accord, les employés et cadres dirigeants d’Infinity Ward s’engageaient à livrer une suite de leur jeu à succès – Call of Duty : Modern Warfare – à Activision en novembre 2009.

En contrepartie, Activision octroyait (i) plusieurs millions de dollars de bonus financiers à Infinity Ward, (ii) le contrôle créatif sur la licence Call of Duty : Modern Warfare, et (iii) s’engageait à financer le prochain jeu original proposé par le studio de développement.

La validité de cet accord était conditionnée à la présence des deux principaux dirigeants de Infinity Ward – Vince Zampella et Jason West – au sein des équipes.

Or, ces derniers ont été licenciés (par Activision) en mars 2010, quelques semaines seulement après la sortie de Call of Duty : Modern Warfare 2.

West, Zampella et d’autres employés d’Infinity Ward ont donc lancé courant 2010 plusieurs actions près le Tribunal Supérieur de Californie afin de contester des licenciements abusifs et dénoncer l’inexécution / l’exécution de mauvaise foi de l’accord.

En mai 2012, Activision a transigé pour un montant non divulgué.

Retour sur les nombreuses raisons à cette transaction.


1/ Trop à perdre

En cas de victoire judiciaire, West, Zampella et consorts auraient obtenu le contrôle créatif sur la licence Modern Warfare, dont chaque épisode a généré plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires pour son éditeur (Activision).

Activision n’avait signé cet accord avec Infinity Ward que parce que la société avait désespérément besoin d’annoncer une suite au plus grand succès de son catalogue (Call of Duty : Modern Warfare) pour peser davantage dans les négociations de sa fusion avec Vivendi.

Il s’agissait donc d’un accord extraordinaire qu’Activision était prête à enterrer par tous les moyens, y comprit une transaction à plusieurs centaines de millions de dollars.

Une telle configuration peut apparaître dans de nombreux contextes :

  1. dès lors que les enjeux financiers de l’action judiciaires sont élevés au regard des capacités financières de la partie défenderesse ;
  2. dès lors que l’action touche à des activités ou opérations stratégiques de la défenderesse : raison pour laquelle, il est plus facile de transiger lors dans un contentieux d’actionnaires lorsque la demanderesse à des possibilités de blocage (d’un rachat par exemple) ;
  3. dès lors que l’action met l’entreprise en porte-à-faux par rapport à une exigence réglementaire (les procès antitrust pour les GAFAM par exemple).

2/ L’impact médiatique du procès

En l’occurrence, le procès était dommageable à l’image d’Activision à deux niveaux.

À un premier niveau, Activision avait une réputation d’éditeur hypercapitaliste, en contraste avec la réputation de créateur/d’employé d’Infinity Ward.

Peu après la fondation du studio de développement Infinity Ward en 2002, Activision était d’ailleurs entré à son capital à hauteur de 30% avec une clause de rachat des actions restantes activable à la sortie du premier jeu du studio.

Ainsi, sitôt qu’en octobre 2003 Infinity Ward sortait le premier Call of Duty, Activision prenait le contrôle du studio (et de licence – d’où la clause de contrôle créatif intégré par Infinity Ward dans l’accord de 2008).

La médiatisation excessive d’un procès de type “artisan contre homme d’affaires” risquait donc d’entraîner des mouvements de boycotts des prochains opus de la licence Call of Duty, si profitable pour Activision.

D’autant qu’à un second niveau, une telle médiatisation aurait mis en lumière le départ de la quasi-intégralité des cadres d’Infinity Ward à la suite des licenciements de West et Zampella. Or, le prestige du studio était tel à l’époque qu’il était devenu un argument de vente auprès du public.

La vulnérabilité d’une société à l’opinion publique sera naturellement d’autant plus forte si elle travaille en B2C, mais d’autres facteurs interviennent (une entreprise soucieuse de son image RSE sera ainsi encline à éviter un procès pour préjudice écologique).


3/ La situation des actionnaires

En 2010-2011, Activision était détenue par le groupe Vivendi (depuis la fusion-acquisition de 2008 qui était d’ailleurs à l’origine de la signature de l’accord litigieux). Cette détention a eu deux incidences sur le contentieux avec Infinity Ward :

  1. le groupe Vivendi étant côté, l’issue du procès aurait eu un impact direct sur sa capitalisation boursière ;
  2. début 2010, le groupe Vivendi venait d’être condamné par la justice américaine dans l’affaire Messier (manipulation de cours entre 2000 et 2002) et avait provisionné 550 millions d’euros de réparations octroyées dans ses comptes. Dans ses conditions, elle ne pouvait se permettre un nouveau procès d’un enjeu similaire.

4/ La culture de transaction

Nonobstant le cas, certaines entreprises ont pour politique de rechercher systématiquement la transaction.

C’était d’ailleurs le cas d’Activision concernant la licence Call of Duty.

Plus encore l’éditeur n’hésitait pas à réaliser des opérations litigieuses pour conforter sa licence (débauchage de salariés d’un groupe concurrent, ruptures sauvages de contrats de sous-traitants, licenciements expéditifs, etc.) quitte à transiger dans les éventuelles actions judiciaires intentées.


5/ Une position perdante sur le fond

Enfin, il va sans dire qu’une position perdante sur le fond renforce considérablement la propension à transiger.

Au cas particulier, Activision avait déployé toute une opération (avec son propre nom de code : Ice Breaker) pour justifier les licenciements de West et Zampella, et pouvoir casser l’accord litigieux.

Il leur était donc particulièrement difficile d’imaginer une issue judiciaire entièrement positive.

En synthèse:

Identifier une situation favorable à la négociation revient à comprendre les rapports de force existants entre les parties, et à décrypter les vulnérabilités extrajudiciaires de la partie adverse.

Une telle analyse, à notre sens indispensable, permet de définir une stratégie contentieuse. Elle influence également le chiffrage de préjudice, qui doit être pratiqué différemment selon qu’une issue judiciaire ou une issue transactionnelle est recherchée.

Chez Outmatch, nous procédons donc systématiquement à cette analyse dans le cadre de nos chiffrages.

Pour toute précision, n’hésitez pas à contacter : arnaud.cluzel@outmatch.fr

 

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