Comment gagner un mauvais procès ?

Coupable mais pas responsable.

Un dommage n’est réparable que s’il est directement lié à une faute, quantifiable et certain : Il est donc possible d’être coupable d’une faute sans être responsable de son indemnisation.

C’est pourquoi, il est possible – et souvent extrêmement – efficace, de critiquer des prétentions adverses non pas seulement sur la faute, mais aussi sur le quantum du préjudice.

Si le demandeur ne parvient pas à réaliser une quantification solide du préjudice, il devra être débouté de ses demandes de réparation par le juge (même s’il parvient à démontrer la culpabilité du défendeur).

Si la critique d’un chiffrage de préjudice est particulièrement efficace lorsqu’elle est menée par un expert privé, il existe quelques réflexes simples et efficaces qui permettent à tout un chacun de neutraliser une mauvaise demande en réparation.

 

Quatre niveaux de critique

Pour peu qu’elle suive les meilleurs standards en la matière, une critique de chiffrage de préjudice se décline sur quatre niveaux :

  1. Le respect des grands principes de justice ;
  2. La méthodologie de chiffrage ;
  3. L’exactitude mathématique ;
  4. La robustesse et la pertinence des sources et pièces justificatives.

 

Les critiques de principe

Les critiques de principe visent à démontrer qu’un chiffrage enfreint des principes de justice fondamentaux, et n’est, à ce titre, pas recevable par les tribunaux.

A notre sens, les critiques les plus efficaces portent sur trois principes :

  1. Le respect du contradictoire : Ce principe impose que le chiffrage soit mené à partir de chiffres consultables par la partie adverse (idéalement, annexés au rapport d’expertise, à l’instar des autres éléments de preuve) et suffisamment développé pour qu’il puisse être reconstitué par cette dernière. L’objectif du défendeur n’est alors pas de critiquer le fond du rapport d’expertise ou le montant du chiffrage, mais de mettre en évidence son insuffisance probatoire. Le non-respect du contradictoire peut être soulevé à différents niveaux, certains très simples (la méthode de calcul est-elle expliquée ? Les calculs sont-ils détaillés ? Le chiffrage est-il soutenu par des annexes ? ), d’autres plus complexes (l’exposé des faits est-il suffisant pour pouvoir s’assurer de l’entière pertinence de la méthode de chiffrage retenue ?).

     

  2. La réparation intégrale du préjudice subi : ce principe impose de chiffrer “tout le préjudice, rien que le préjudice” et disqualifie donc tout quantum qui intégrerait des dommages sans lien avec la faute ou chiffre deux fois (piège fréquent en pratique). Quelques questions simples suffisent généralement à repérer une entorse à ce principe : le lien de causalité de chaque poste de préjudice avec une faute alléguée est-il établi ? un même dommage semble-t-il avoir été chiffré au sein de deux postes de chiffrage différents ? le rapport adverse précise-t-il avoir déduit les éventuelles primes d’assurances touchées à la suite du préjudice allégué ; et plus généralement la situation factuelle a-t-elle été exhaustivement prise en compte ? les préjudices futurs ont-ils été dûment actualisés ? Les pertes de chances ont-elles été indiquées comme telles et probabilisées dans le cadre du chiffrage ?

     

  3. Le respect de l’intention des parties / la prévisibilité du dommage : En droit français, le dommage réclamable est borné par sa certitude et donc sa prévisibilité. Un dommage lié à un manquement contractuel ne saurait donc être réclamé s’il n’était pas prévisible au moment de la conclusion du contrat.

 

Les critiques méthodologiques

La méthodologie d’un chiffrage correspond à la manière par laquelle les principes évoqués supra sont appliqués à un cas particulier, et porte essentiellement sur le choix des hypothèses, outils et méthodes de chiffrage.

À l’instar de la critique de la bonne application des principes, la critique méthodologique porte sur des points très techniques – l’utilisation d’une méthode de valorisation inappropriée – comme sur des erreurs plus grossières : le fait de chiffrer un gain manqué sur la base du chiffre d’affaires plutôt que sur celles de la marge sur coûts variables, ou à confondre actualisation et capitalisation.

S’agissant du choix des hypothèses, il est particulièrement intéressant, dans une approche critique, de reperformer le chiffrage afin de tester la sensibilité de ce dernier à chacune des hypothèses choisies.

Ce faisant, il sera possible d’orienter la critique sur les hypothèses les plus structurantes du chiffrage adverse (le chiffrage d’un préjudice futur est par exemple extrêmement sensible au taux d’actualisation).

Les critiques mathématiques

Un chiffrage de préjudice correspond fondamentalement à une suite de calculs. Il va donc sans dire que des erreurs mathématiques peuvent être rédhibitoires pour un chiffrage.

Au-delà des opérations de calcul usuelles, des erreurs peuvent être détectées dans l’utilisation de formules ou de modèles plus développés.

 

 

La critique des sources

De même qu’il est nécessaire de produire des pièces au soutien des conclusions de l’avocat afin de démontrer une faute, il est nécessaire de produire les sources d’un chiffrage pour qu’il soit recevable.

Toutes les sources documentaires ne se valent pas. Ainsi, les données opérationnelles utilisées doivent idéalement être contradictoires entre les parties ou provenir de tiers au procès.

Les données financières utilisées doivent idéalement provenir de comptes annuels certifiés par un expert-comptable ou un auditeur indépendant, ou, a minima être réconciliées avec ces derniers.

Les données de marché enfin, doivent provenir d’instituts (FMI, INSEE, etc.) ou d’acteurs reconnus (Bloomberg, Xerfi, Médiamétrie, etc.).

À noter que dans certains cas, les données nécessaires ne sont pas disponibles car détenues par la défenderesse. Il vaut donc mieux attaquer d’autres aspects du chiffrage sous peine de se voir opposer une injonction à communiquer la documentation détenue.

En synthèse :

La critique d’un préjudice est extrêmement efficace et parfois suffisante pour débouter une action.

Elle est d’autant plus efficace lorsqu’elle permet de démontrer que le dommage n’est pas chiffrable dans l’absolu (ou doit être chiffré à un montant dérisoire).

Il s’agit de pratiques que nous mettons en œuvre au sein de notre département contentieux.

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