Le chiffrage de dommages et intérêts
Les missions d’expertise les plus fréquentes sont des missions de chiffrage de dommages et intérêts consécutifs à diverses pratiques fautives (contrefaçon, concurrence déloyale, abus de position dominante, inexécution de contractuelle, etc. nous aurons l’occasion de revenir sur chacun d’eux plus en détail dans ces colonnes).
Un chiffrage de dommage et intérêts doit, en effet, suivre une méthodologie précise édictée par des textes de loi et la jurisprudence pour être recevable ; faute de quoi l’ensemble des prétentions d’une partie sera écarté par le juge.
Lors d’une résolution d’un litige à l’amiable également, il est important de présenter un chiffrage recevable en justice, afin d’asseoir la crédibilité de sa demande et appuyer sa position dans les négociations.
Sans entrer dans le détail de nombreux cas particuliers, un chiffrage de dommages et intérêts est en réalité un chiffrage du montant des restitutions que le juge doit octroyer à la victime afin de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu ».
En pratique l’expert privé va donc calculer ce montant au plus près de la date de jugement – c’est-à-dire à date de remise de son rapport, qu’il se propose de mettre à jour à date de jugement – par approche différentielle entre (i) une situation contrefactuelle dans laquelle se serait trouvée la victime en l’absence de pratiques fautives et (ii) la situation factuelle dans laquelle se trouve la victime malgré lesdites pratiques.
La critique d’un chiffrage de dommages et intérêts
A l’instar des avocats, les experts privés consignent leurs travaux dans des écritures qu’ils soumettent à la partie adverse (et au juge le cas échéant).
Un expert peut donc également être diligenté en défense pour une critique de chiffrage ou un contre-chiffrage – que ce dernier ait été réalisé par un autre expert, un avocat ou directement par la partie adverse.
L’expert va donc critiquer (i) la conformité du chiffrage aux grands principes judiciaires, (ii) la pertinence de la méthodologie retenue, (iii) l’exactitude mathématique, (iv) l’existence et la qualité de la documentation justificative produite et (v) la suffisance des informations utilisées lors de la délimitation du préjudice.
Dans la mesure où un préjudice n’est pas réparable si son quantum est incertain, la critique experte d’un chiffrage est une stratégie de défenses redoutable.
La recherche d’éléments de preuve
Outre les missions de chiffrage, l’expert peut se voir confier des missions de recherche d’éléments de preuve dans des documents comptables et financiers.
Ces missions d’investigations – parfois dites de forensic – peuvent être diligentées entre autres pour prouver des malversations financières (blanchiment, corruption, financement du terrorisme), ou dans le cadre de procédures collectives afin d’établir des fautes de gestion dans le cadre d’une déconfiture (appauvrissement de la société au profit d’une société sœur, manquement aux obligations de gestion des capitaux propres par exemple) et éventuellement justifier des extensions de procédures à des sociétés tierces.
Elles peuvent également l’être pour démontrer la réalité économique d’une activité (le lieu de résidence effectif dans le cadre de divorces entre très grosses fortunes par exemple – la législation applicable jouant une importance considérable dans le coût du divorce).
Dans une moindre mesure – l’expert n’ayant pas vocation à se subsister aux travaux de l’Autorité de la Concurrence ou de la Commission Européenne -, des investigations économiques peuvent être diligentées pour analyser l’état concurrentiel d’un marché afin de démontrer une position de dominance collecter des indices complémentaires sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles.
Au reste, l’expert peut intervenir sur des éléments partiels de caractérisation de la faute dans de cas très spécifiques (par exemple la démonstration du caractère stable d’une relation commerciale et d’une situation de dépendance économique dans le cadre d’une rupture brutale de relations commerciales établies, ou encore l’analyse de ratios de marché dans le cadre de l’inexécution d’une clause contractuelle s’y référant).
Plus rarement, des investigations économiques peuvent être diligentées pour prouver l’inexécution de clauses contractuelles fixées par rapport à un standard de marché.
Toujours est-il que ces missions se consistent en l’analyse de documents comptable et financier ou de situations économiques et à la mise en évidence de possibles éléments de preuve.
Ultimement, la qualification juridique de la faute n’est pas du ressort de l’expert mais de l’avocat.
L’établissement du lien de causalité
Enfin – bien plus rarement – l’expert peut se voir confier la mission d’établir un lien de causalité entre et une faute et un préjudice (n’est réparable que le préjudice causé par une faute).
A cet effet, l’expert privé saura utiliser de nombreux outils statistiques (coefficient de corrélation de Pearson/de Spearman, simples et doubles différences), économétriques (modèles de régression ou de simulation), ou scientifiques (modèle causal de Neyman-Rubin) ; l’enjeu était de dépasser la simple corrélation entre faute et préjudice pour établir une véritable causalité de l’une à l’autre.
Dans les faits, cette mission est toutefois souvent réalisée dans le cadre de la réalisation de travaux de chiffrage de préjudice.